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Maitre_Miguel_GrattirolaAppelées dans le langage technique local, les “affaires de terres”, les procédures judiciaires relatives aux droits réels immobiliers sont, en Polynésie française, le premier problème posé aux professionnels du droit. Ce problème, source d’incertitude juridique défavorable aux affaires et à l’économie en général –mais toutefois reflet de la culture polynésienne– se pose en termes de quantité et de qualité.

La quantité, tout d’abord, résume à elle seule la gravité de la situation : 300 dossiers environ en stock (restant à juger) devant la chambre des terres du tribunal de première instance de Papeete. Il y a dix ans, le chiffre a explosé pour parvenir à environ 900, fin 2013. Des efforts démesurés sont consentis par les magistrats, qui ne comptent plus leurs heures, le personnel des greffes, les avocats des terres, la commission de conciliation obligatoire en matière foncière et autres intervenants, pour pallier le phénomène qui semble s’accélérer, tout simplement parce que les justiciables polynésiens veulent habiter chez eux, avoir une maison, recevoir leurs droits, partager, occuper leurs terres, honorer le patrimoine de leurs ancêtres, le défendre : autant de motivations tout à fait légitimes et qui montent en puissance, y compris chez les jeunes.

Il en résulte, les moyens n’ayant pas suivi, une perte de qualité des instruments judiciaires devenus certainement obsolètes et une difficulté à rédiger une feuille de route et se moderniser, nonobstant le projet de tribunal des terres, sorte de “couteau suisse” des affaires foncières, mais qui n’est pas installé à ce jour et qui ne pourra faire de miracles, compte tenu des obstacles. Le premier de ces obstacles, le plus dur à supporter, réside dans la lenteur des procédures : cette lenteur commence par le délai de six mois, minimum, à attendre devant la commission de conciliation obligatoire en matière foncière, obligeant les justiciables à patienter, une fois leur requête déposée.

La commission, à l’origine, devait instruire les dossiers (article 38 de la loi du 8/8/1996), et éventuellement constater une conciliation ; elle ne fait désormais plus correctement ni l’un ni l’autre, et ne sert qu’à tenter de retenir, temporairement, les dossiers destinés in fine, au tribunal, mais que ce dernier n’est pas forcément pressé de recevoir et qui, d’ailleurs, renvoie à la commission les dossiers de ceux qui, trop pressés, n’ont préalablement pas tenté de se concilier. Pire, la commission procède à l’archivage (qu’elle appelle “classement”) quasi systématique des dossiers, alors que le paragraphe 7 de l’article 38 précité prévoit que si la commission n’a pu recueillir l’accord des parties dans le délai de six mois, elle transmet le dossier au tribunal et lui fait connaître les informations qu’elle a recueillies.

Ce “classement” est un retard supplémentaire. Ce n’est pas tout : il y a également les procès-verbaux, dits de “conciliation”, qui ont valeur de contrat entre les parties et qui constatent que le partage est irrégulier lorsqu’il ne recueille pas le consentement de tous les indivisaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil. Selon cet article, tout acte de disposition nécessite le consentement de tous les indivisaires. Ces procès-verbaux ne font que créer des problèmes supplémentaires et des litiges à venir qui vont encore retarder la solution qu’attendent les justiciables concernés.

PapeeteUne fois devant le tribunal, les renvois à six mois et les fixations pour plaidoirie à dix mois, voir un an, y compris pour les mesures d’instruction (enquête, transports sur les lieux) sont fréquents, mais incompréhensibles pour les justiciables, voire pour les professionnels eux-mêmes : en effet, l’article 64 du code de procédure civile local prévoit que la date de la clôture du dossier ne doit pas être antérieure de plus de deux mois à la date des plaidoiries, tandis que doit être respecté le délai raisonnable, qui est un principe général posé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et également un objectif de la loi du 23 juin 2006 opérant réforme des successions (souci de célérité même en cas de successions complexes).

Il vient s’ajouter de multiples renvois pour le curateur (qui a trop de travail), pour les experts judiciaires (renvois successifs parfois sur plus de deux ans) et des demandes, par le tribunal, de production de la chaîne des titres de propriété qui ralentissent encore : sachant, au surplus, que les fichiers de la Direction des affaires foncières (DAF) ne permettent pas de recherches par terre, mais seulement par personne, ce qui suppose d’avoir les références des actes –ces éléments retardent considérablement–, outre les questions incontournables de généalogie, que le fichier généalogique ne résout pas, puisque les ayants droit nés hors Polynésie n’y sont pas répertoriés.

Pour parachever, des procédures croisées peuvent exister sans se connaître l’une l’autre, faute de publication des requêtes à la conservation des hypothèques tandis que les décisions rendues, sont, pour la plupart, non transcrites, ou pire, partiellement : l’on atteint alors un niveau de confusion très élevé, qui nécessite une reprise en main sérieuse.

Des solutions peuvent être envisagées mais forcément avec courage, il ne s’agira pas de thérapie, mais d’une véritable chirurgie : à commencer par la suppression de la commission de conciliation obligatoire en matière foncière et l’utilisation, qu’il faudra fréquente, de la conciliation éventuelle directement devant le juge de la mise en état de la chambre des terres (article 51 CPC local). Il est évident qu’il conviendra de prévoir l’utilisation du budget et du personnel de la commission de conciliation obligatoire en matière foncière par la juridiction des terres, qui est actuellement en manque de moyens.

Des délais de renvoi plus courts seront à prévoir devant le tribunal (trois mois au plus), tandis que des délais maximums devront être impartis pour les experts ainsi que pour le curateur. Il sera également possible, le curateur appelé, de réserver les droits des indivisaires absents, en prévoyant une part dans le partage ce qui évitera des tierces oppositions des personnes “oubliées”. L’accès aux bases de données de la DAF par les avocats, directement depuis leur ordinateur (système login/password), permettra un gain de temps et un allégement du travail du curateur.

Le juge de la mise en état, en cas de dossier incomplet, pourra ordonner directement la production au dossier du tribunal de toutes les pièces utiles y compris détenues par des tiers ou administrations (article 77 du CPC local) ce qui occasionnera un gain de temps considérable. Dans le sens d’une meilleure sécurité juridique et de l’intérêt général, la transcription obligatoire et sans frais de toutes les décisions de justice définitives et des requêtes à la conservation des hypothèques pourra permettre l’information et la protection du public et surtout d’éviter les procédures superposées –elle avertira tout notaire de l’existence d’un litige sur une terre en cours de vente, ce qui n’est pas le cas à ce jour.

Dans la décision de partage, des dispositions devront prévoir que ceux qui ont avancé les frais pourront se faire rembourser par les autres indivisaires à proportion de leurs quotités (sans avoir besoin de ressaisir une juridiction, et donc, d’encombrer les tribunaux). Enfin, l’obligation de liquider les successions dans un délai déterminé et par conséquent de dresser des notoriétés (avec les actes d’état civil annexés) et des attestations immobilières avec transcription obligatoire devra être mise en place progressivement.

Cette feuille de route est indispensable pour avancer et invoquer l’absence de moyens n’est pas pertinent, compte tenu de la situation actuelle qui coûte plus cher que les solutions. La justice foncière ne correspond plus aux critères d’une justice moderne, sûre et efficace. Concentrer les moyens sur les réels objectifs –qui sont de juger les dossiers et de clarifier définitivement les droits des propriétaires– et mettre en place les outils modernes qui s’imposent, sont assurément le défi des pouvoirs publics et du monde judiciaire polynésien pour les années qui viennent.

Article de Maître Miguel Grattirola

 

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